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Mesdames et messieurs, notre enquête sur RAM – « l’extravagante escroquerie d’État »

Mesdames et messieurs, notre enquête sur RAM – « l’extravagante escroquerie d’État »

Le ministre des PTNTIC était ce mercredi face aux élus à l’Assemblée nationale, obligé de s’expliquer sur la taxe RAM qu’il refuse d’appeler comme telle, mais de qualifier plutôt de « rémunération d’un service ». Hélas, un service non demandé. Une taxation impopulaire, assise sur une base fragile et les revenus gérés de manière opaque. Il devra être de nouveau face aux députés nationaux vendredi prochain. Ci-dessous, notre enquête sur la question, parue en novembre 2020.

C’est l’une des innovations congolaises les plus absurdes et immorales de ces vingt dernières années…

Depuis la semaine dernière, votre rédaction est inondée d’appels et messages alertes venant de ses lecteurs. Deux abréviations reviennent, ARPTC et RAM. Plusieurs assurent recevoir des SMS insistants sur « la vérification des IMEI » de leurs téléphones mobiles au risque de voir un bon soir son téléphone portable être bloqué. Jeudi 15 octobre, le conseil de rédaction lève son option et décide de lancer les vérifications, atteindre certaines sources et comprendre les enjeux. Et les éléments réunis démontrent un montage grossier, sans soubassement légal, avec pour finalité des millions de dollars qui pourront être soutirés des minables portefeuilles des miséreuses populations congolaises, dont la plupart d’individus ne vivent que de plus ou moins un dollar le jour. De quoi s’agit-il ?

Invité, un lecteur plaignant nous montre deux SMS, pareils à ceux reçus plus tôt par nos téléphones de travail. Un de ces deux textos retient l’attention. « Vérifiez l’IMEI d’un appareil mobile sur www.ram.cd avant de l’acheter. Un appareil contrefait acheté à partir du 24 octobre 2020 ne fonctionnera plus après le 23 octobre 2021 », est-il écrit. Et qui est l’auteur de cet SMS ? L’Autorité de régulation de la poste et des télécommunications du Congo (ARPTC), le régulateur congolais du secteur de la poste et des télécommunications, relevant du président de la République, selon les informations générales de cette structure de l’État congolais contenues dans son site officiel, librement consultable.

Notre équipe mobilisée à traquer la moindre information sur le sujet, tombe sur un des vulgarisateurs de ce programme. Sérieux responsable d’un média dans le pays et proche du ministre des Postes, télécommunications et nouvelles technologies de l’information et de la communication. Il intervenait dans un programme audiovisuel, un peu volatil, expliquant ce qu’est le RAM (Registre des appareils mobiles). Dans les faits, il est créé en RD Congo un système des vérifications de la conformité des IMEI des téléphones mobiles. Tout d’abord, un IMEI est l’abréviation de « International Mobile Equipment Identity ». Chaque téléphone mobile a son propre numéro IMEI, constitué d’une série de 15 à 17 chiffres. Ce numéro est en fait la carte d’identité du téléphone. C’est grâce à ce numéro qu’un opérateur de télécommunication autorise ou non l’accès d’un téléphone à son réseau. Ce code permet de vérifier la provenance d’un appareil, de le bloquer ou débloquer, en cas de besoin. Et donc le Registre des appareils mobiles (RAM), créé en RD Congo, servira à les identifier.

Pour mieux collecter les détails, nous feuilletons le compte Facebook officiel de ce vulgarisateur du RAM, Jeff Kaleb. Et là, ses explications, très claires, ouvre la piste à ce qui n’est rien d’autre « qu’une contrainte financière pour un service non demandé », s’il faut reprendre un des utilisateurs Facebook à propos de ce Registre.

Il est demandé « aux utilisateurs de vérifier le statut de leurs téléphones pour savoir si les numéros IMEI de leurs téléphones sont conformes ou pas ». Des téléphones dont les IMEI ne respectent pas la conformité sont donc considérés comme des téléphones « contrefaits. » Ils seront par conséquent « bloqués », assure-t-il sur le réseau social.

De poursuivre, et c’est ici que la ruse est démasquée. «Tous les téléphones contrefaits achetés avant novembre 2020 seront bloqués après deux ans. Les téléphones contrefaits achetés après novembre 2020 seront bloqués 11 mois après (…). »

Pour que le téléphone « contrefait » ne soit pas déconnecté du réseau de communication, les consommateurs congolais victimes de cette contrefaçon doivent payer à l’ARPTC en connivence avec le ministère des PTNTIC, une somme d’1 dollar pour les victimes détentrices des téléphones non intelligents, 7 dollars pour celles détentrices des téléphones intelligents avec une seule carte sim et 14 dollars pour des Smartphones à deux sims. Faire payer des pénalités à des victimes de la contrefaçon. Quelle imagination cynique !

« Si un utilisateur n’a pas payé les frais après 6 mois, un délai de 60 jours lui sera accordé pour qu’il s’acquitte. Après 60 jours, si ce dernier n’a pas payé, son téléphone sera bloqué.

Pour que le téléphone bloqué pour non-paiement soit débloqué, l’utilisateur doit recharger assez dans son compte (recharger les crédits de plus d’un dollar pour le téléphone 2G et de plus de 7 dollars pour le téléphone 3G, 4G ou en itinérance). Une fois rechargé, il doit éteindre puis rallumer l’appareil.

Le téléphone 2G (non intelligent, ndlr) paie 1 dollar l’an soit 300 FC le mois pendant 6 mois via les crédits de communication.

Le téléphone 3G, 4G, et en itinérance paie 7 dollars l’an soit 1,17 dollars le mois pendant 6 mois via les crédits de communication. Le paiement pour les utilisateurs en itinérance se fait sur le site RAM ou à la banque », explique le communicateur susmentionné du RAM.

Quelques questions apparaissent. D’abord, depuis quand un produit contrefait cesse de l’être après le paiement d’une pénalité financière ? Ensuite, qui en République démocratique du Congo a le pouvoir de juger la conformité d’un produit ou d’un bien, de détruire celui contrefait, défectueux, périmé… ? Qui doit payer pour remédier à un tort que causerait un bien de mauvaise qualité ? Qui doit traquer ces genres des biens et comment ? L’État congolais a tout prévu.

L’ARPTC et l’OCC, à qui revient la compétence

Dans les flots de données que livrent le site de l’ARPTC, nous avons retrouvé des informations qui décrivent avec précision les missions et le rôle de ce régulateur du secteur de la poste et des télécommunications au Congo. Dans sa présentation, il est clairement signifié que l’ARPTC « n’est pas une entreprise ni une régie, elle est une autorité administrative indépendante destinée à renforcer l’autorité de contrôle de l’État dans le secteur. L’ARPTC est pour la poste et les télécommunications ce que la Haute Autorité des Médias (ancêtre du Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication -CSAC-, ndlr) est pour les médias. » Par conséquent, l’ARPTC n’est que dans la régulation. En outre, ses missions consistent essentiellement à « assurer une concurrence effective et loyale, au profit des consommateurs; assurer la sécurité juridique et règlementaires des investissements privés dans le secteur de la poste et des télécommunications; et assurer la promotion de l’accès universel aux technologies de l’information et de la communication (TIC en sigle). »

D’où vient que les consommateurs congolais victimes de la contrefaçon, précisément des téléphones « contrefaits », doivent-ils payer des pénalités financières de manière contraignante au RAM, ce registre que l’ARPTC et le ministère des PTNTIC contrôlent ?

« Sur base de quoi, d’où et de qui l’ARPTC et le ministère des PTNTIC tirent une telle compétence à la fois illégale et irrégulière, mais aussi en partie usurpatrice de celles reconnues à l’Office congolais de contrôle (OCC), qui a d’ailleurs la mission de protéger les consommateurs en traquant à la source des produits contrefaits ? », questionne le lecteur plaignant ci-haut repris.

Un regard fouillé, cette fois-ci en direction de l’OCC, était devenu obligatoire.

Une affaire très glissante

Lundi 26 octobre, dans la matinée pluvieuse de Kinshasa, l’équipe se met à la recherche d’un interlocuteur mieux placé dans cet établissement public, où personne ne peut s’exprimer sans l’aval de la haute hiérarchie. Ainsi, après avoir obtenu une source qui accepte enfin de nous livrer quelques informations, seulement sous l’anonymat, on découvre l’ampleur du complot contre les consommateurs congolais.

« A l’OCC on retrouve un département contrôle technique. C’est ce département qui contrôle les appareils. Mais sur notre marché on retrouve des appareils de moindre qualité appelés pirates. Ce n’est pas la faute de l’OCC. C’est l’État congolais qui permet l’entrée des appareils de moindre qualité par rapport au pouvoir d’achat de la population congolaise qui n’est pas en mesure de se procurer les produits électroniques de grandes qualités qui coûtent chers. Et les opérateurs économiques hésitent aussi de placer des produits de première qualité sur le marché congolais par crainte de ne pas assurer des bénéfices. C’est difficile pour un congolais de se procurer un téléphone de haute facture. Le prix moyen de téléphone que nous utilisons en général tourne autour de 120$. C’est un fait qui justifie la présence sur le marché congolais des téléphones de moindre qualité. Souvent on condamne l’OCC à tort. C’est la réalité dans tous les pays moins développés », détaille-t-il le contexte du marché congolais.

Avant de passer une information plus sensible. « Les autorités de l’OCC ont été informées de cette histoire du RAM. Jusque-là, elles ont jugé bon de ne pas intervenir sur ce dossier, qui est une affaire très glissante au niveau de la haute hiérarchie. » Qu’est-ce qu’est cette « haute hiérarchie » qui fait si peur aux autorités de l’OCC, y compris par déduction la direction générale ?

Nous remettant quelques documents qui décrivent les missions de l’OCC, qui se trouvent d’ailleurs sur la place publique, à travers le site de cet Office. Dans ces feuillets, il est repris le Décret n°09/42 du 03 décembre 2009 fixant les statuts d’un établissement public à caractère scientifique et technique qu’est l’Office congolais de contrôle.

Nous apprenons que ce dernier a pour mission entre autres, le contrôle de tous produits fabriqués localement; le contrôle de qualité de tous produits et marchandises, à l’importation et à l’exportation au niveau du guichet unique; les essais ou analyses des échantillons des produits importés; le contrôle technique de tous appareils et travaux. Et que les activités de l’OCC comme organisme public en charge d’évaluation de la conformité, couvrent les aspects vérification de la qualité, de la quantité et du prix des biens et marchandises.

Avec son personnel commis à l’exploitation bénéficiant du statut de l’OPJ à compétence restreinte, l’OCC participe avec les autres services habilités de l’État, au refoulement, à la déformation ou à la destruction des marchandises non conformes et/ou impropres à la consommation. Ce, pour assurer la protection des consommateurs congolais.

Pourquoi, alors que l’État congolais ait institué son établissement public l’OCC pour protéger les consommateurs congolais de tout produit contrefait entre autres, d’autres structures s’obstinent à prendre ce rôle tout en voulant faire payer les victimes ? La réponse est claire. La RD Congo compte plus de 37 millions d’utilisateurs de téléphones portables, selon les données publiées en juin de l’année en cours par l’Observatoire du marché de la téléphonie mobile en République démocratique du Congo. S’il faut suivre notre source au sein de l’OCC, vu le faible pouvoir d’achat des consommateurs, l’État laisse circuler les téléphones de moindre qualité dans le marché congolais.

Estimons que c’est à 50% le taux de pénétration des téléphones contrefaits dans le pays. On aura la moitié des 37 millions de congolais victimes de la contrefaçon et porteurs de ces téléphones qui seront sous les radars de l’ARPTC et du ministère des PTNTIC, et pas moins de 20 millions de dollars américains illégalement soutirés aux pauvres congolais lambda. Surtout que le mode de paiement est notamment l’achat de crédits, on en déduit que les opérateurs de la télécommunication en RD Congo sont aussi dans le coup. Le consommateur congolais victime de la contrefaçon, lui, bien qu’ayant payé son impôt à travers la Taxe de la valeur ajoutée (TVA) qui est de 16% retirés après l’achat du téléphone dit « contrefait » mais que l’État n’ait pas écarté du marché, verra son portable confisqué en étant hors connexion et lui-même sommé de payer en plus. Ce, en toute impunité.

Tony-Antoine Dibendila

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