728 x 90

Autopsie de la dépréciation du franc congolais en RDC ( Par Augustin Mbangala Mapapa )

Autopsie de la dépréciation du franc congolais en RDC ( Par Augustin Mbangala Mapapa )

Depuis le début de l’année 2023, les congolais assistent, en spectateurs, à une dépréciation vertigineuse du franc congolais face à la devise américaine. Selon certaines sources, sur le marché parallèle, le franc congolais s’est déprécié de 0,3 % en moyenne d’une semaine à l’autre au cours du premier trimestre de 2023, perdant ainsi sa valeur marchande face au dollar américain. Le cours de change officiel moyen est passé de 1 $ = 2030,9953 CDF le 31 janvier 2023 à 1 $ = 2301, 1520 CDF au 31 mars 2023, enregistrant ainsi une dépréciation de l’ordre de 13 % en trois mois. Pour compléter le tableau économique, retenons qu’en 2022, l’économie a enregistré un taux de croissance annuel de son Produit intérieur brut (PIB) réel de 8,9 %. Au cours du premier trimestre 2023,  les réserves internationales brutes de change de la RDC, selon la BCC, ont atteint 4,5 milliards de dollars US, ce qui correspond à un peu plus de 8 mois d’importations des biens et services, niveau jamais atteint depuis les deux dernières décennies. Concernant l’inflation, la BCC a indiqué que le taux d’inflation en glissement annuel s’est situé à 16,9 % au 31 mars 2023. Cette surchauffe de prix se définit par la hausse généralisée et durable des prix, entraînant des conséquences néfastes sur le panier de la ménagère.

Solutions préconisées

Face à ce tableau économique préoccupant, les autorités politico-économiques de la RDC ne sont pas restées bras croisés. Lors de la dernière réunion de conjoncture économique du mois de juillet 2023, elles ont pris des mesures draconiennes pour endiguer cette dépréciation du franc congolais. En effet, huit mesures urgentes, basées sur des instruments traditionnels, ont été prises dont six plus importantes intéressent cette analyse :

l’intervention de la Banque Centrale du Congo (BCC) de manière régulière sur le marché de change en injectant la devise mise en cause (dollar US) prélevée sur les réserves de change ; la gestion rationnelle des dépenses publiques en les limitant à celles prioritaires ; l’interdiction du paiement en espèce des dépenses publiques au guichet de la BCC ; l’encadrement des bureaux de change pour éviter l’effet d’annonce notamment en ce qui concerne l’affichage de taux de change à l’extérieur ; le renforcement de paiement dû à l’État en monnaie nationale ; « le renforcement des mesures de rapatriement de devises et la concertation entre la Banque Centrale du Congo et les opérateurs du secteur minier pour le rachat éventuel d’une quotité de devises ainsi rapatriées ».

Quelle lecture faut-il faire des solutions préconisées ? L’objectif de cette réflexion n’est nullement de mettre en cause les instruments utilisés pour lutter contre cette inflation et moins encore d’analyser chacune de ces mesures. La présente réflexion se questionne sur la démarche utilisée ayant conduit aux huit solutions préconisées. En effet, les solutions adoptées ont consisté en l’utilisation des instruments traditionnels connus en utilisant la technique de « l’entonnoir » c’est-à-dire une démarche qui part du général au particulier dans la résolution d’un problème. Or, dans le cas d’espèce, il nous semble que la technique à utiliser aurait pu être celle de « l’entonnoir inversé » qui consiste à partir du particulier, c’est-à-dire chercher les causes profondes de cette inflation galopante et, remonter dans le général pour voir quels sont les instruments traditionnels existants qui correspondent au cas étudié.

Des causes factuelles de l’inflation et de la dépréciation du franc congolais

L’analyse identifie quatre causes majeures, sans vouloir les hiérarchiser, susceptibles d’expliquer l’inflation galopante observée depuis le début de l’année 2023 en RDC. Et envisager, à chaque cause le remède qu’il convient d’administrer de manière efficace et si possible pérenne.

Situation économique mondiale défavorable

Elle est caractérisée par la pandémie de la COVID-19 qui a provoqué un ralentissement des échanges commerciaux, une diminution de la consommation des ménages, une baisse drastique des activités du secteur HORECA et du tourisme, etc. A cela, il convient d’ajouter la guerre en Ukraine qui a entraîné le renchérissement du prix de certains produits et de l’énergie.

Dédollarisation de l’économie congolaise

L’évolution des agrégats économiques et l’analyse des décisions politiques en matière monétaire depuis quelques temps mettent clairement à l’évidence la volonté exprimée par les autorités congolaises de dédollariser l’économie. Rappelons que la structure de l’économie monétaire congolaise est telle qu’environ 15 % de la masse monétaire est en franc congolais et environ 85 % en dollar US, montrant ainsi que la population congolaise est friande de la devise dollar US.

Par ailleurs, pendant que le pays se bat pour dédollariser l’économie, on se trouve dans une situation paradoxale et d’autoflagellation où certains ministères prennent des mesures contraires poussant les institutions étatiques à utiliser le dollar US en lieu et place de la monnaie locale.

Gestion budgétaire de la RDC

Le budget de l’État est un outil précieux et indispensable dans la gestion d’un État. La politique budgétaire congolaise constitue une des causes des poussées inflationnistes au regard de la qualité des dépenses engagées. Plusieurs analyses dont celle du Fonds Monétaire International (FMI) pointent du doigt la qualité de gestion des finances publiques. Il ressort de ces analyses que les décisions prises par les gouvernants sont moins rationnels en matière de gouvernance des finances publiques et réduisent, de ce fait, la portée des objectifs budgétaires poursuivis. C’est le cas des dépenses injustifiées affectées dans les institutions politiques congolaises. Au-delà de ce qui est prévu sur le budget, les montants alloués au fonctionnement des institutions représentent deux fois plus que ceux budgétisés sans compter ceux volatilisés du fait de la corruption. Cela entraîne comme conséquence que seule une petite poignée d’individus détienne la quasi-totalité de la richesse créée par le pays avec toutes les conséquences liées à l’affectation que ces individus en font dans une économie dollarisée. Les dépenses liées aux investissements publics sont insignifiantes, posant ainsi la problématique de développement socio-économique pour la plus grande couche de la population paupérisée, particulièrement en ce qui concerne l’eau, l’électricité, la santé, l’éducation et les infrastructures de transport. A cela, il convient d’ajouter les dépenses somptueuses imposées à la RDC par la guerre qui sévit à l’Est du pays ainsi que celles prévues pour l’organisation des élections de décembre 2023. Enfin, faire attention aux déficits budgétaires ainsi qu’au recours à la « planche à billets » pour les financer.

Spéculation

Deux types de spéculation peuvent être évoquées. Primo, l’absence des cadres légal et réglementaire des produits importés ainsi que l’inefficacité de l’encadrement des prix ont octroyé le libertinage au secteur tertiaire des ventes des produits alimentaires importés particulièrement ceux qu’on retrouve dans des supermarchés congolais. Secundo, il s’observe au niveau de l’évolution des cours de devises, des anticipations inexpliquées provoquées par des changeurs des monnaies sur le marché parallèle auprès de qui les opérateurs économiques se ruent alors que « la réglementation de change en vigueur en RDC interdit aux changeur de monnaie (cambiste) la spéculation et la volatilité sur le marché de change. Logiquement, les cambistes doivent respecter l’application d’un taux vendeur qui ne doit pas excéder 2,5 % du taux acheteur. Malheureusement, cette instruction réglementaire n’est pas respectée par manque d’un encadrement efficace de ces cambistes.

Au regard de toutes ces causes, la question qui doit être utilement posée, quelles solutions préconisées pour une stabilité monétaire du franc congolais ? Partant de la situation décrite, il est important que les solutions soient adaptées aux causes qui ont engendré l’inflation et la dépréciation du franc congolais. Sans vouloir entrer dans les détails, les autorités monétaires de la RDC doivent disposer d’une véritable politique monétaire devant se traduire par la bonne santé de l’économie congolaise, c’est-à-dire un taux d’inflation maîtrisé ainsi qu’une stabilité du taux de change. Dans ce contexte, la RDC doit articuler ses efforts dans les axes suivants :

Protéger, à court terme, le panier de la ménagère  en utilisant notamment des outils comme la subvention, l’exonération de la TVA sur les principaux produits alimentaires et de premières nécessités ;Asseoir, à moyen et long terme, une véritable politique de dédollarisation de l’économie qui contribuera à restaurer la confiance dans la monnaie locale. L’autorité monétaire doit mener une lutte contre la spéculation sur le marché de change en préconisant notamment la poursuite du suivi du facteur de liquidité ; Soutenir la monnaie locale en prenant des mesures incitatives et des dispositifs devant encourager les producteurs locaux notamment les PMEs de sous-traitance susceptibles de redynamiser les échanges domestiques ;

Maîtriser la gestion budgétaire en assurant un encadrement efficace des dépenses publiques en améliorant la qualité des dépenses publiques, gage majeur de la stabilité macroéconomique et de la croissance économique inclusive ;

L’indépendance institutionnelle et fonctionnelle de la BCC doit lui permettre de disposer des marges de manœuvre et des moyens devant lui permettre de remplir ses missions en toute liberté.

Ne pas s’attaquer aux causes profondes de dépréciation sans cesse croissante du franc congolais et de l’inflation galopante ne garantit pas la maîtrise de la situation, bien au contraire, il y a risque d’une chute vertigineuse du franc congolais à moyen et long termes. En effet, les instruments mis en place, comme solutions pour freiner l’élan de la dépréciation de franc congolais sont des feux de pailles. Elles peuvent fonctionner à très court terme . Si l’on veut résoudre le problème de manière pérenne, les gouvernants doivent s’attaquer aux causes profondes de la crise car les remèdes existent et exigent du courage et des réformes.

SKAM
AUTHOR
PROFILE

Animation des Articles

Laisser un Commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont marquées par *

Derniers Articles

Top Auteurs

Les Plus Commentés

Videos