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[Reportage] Kinshasa – la Prison centrale de Makala : Bienvenue en enfer

[Reportage] Kinshasa – la Prison centrale de Makala : Bienvenue en enfer

Tristesse, angoisse, désespoir sur les visages des pensionnaires… L’espoir vient de dépérir. L’endroit ne vous effraie pas assez le long de sa grande muraille baptisée « mur en blanc », à peine peint : en fait, la façade extérieure de l’imposante clôture jadis en beige s’est mue en grisalle, à l’usure du temps. Un mirador bleu de nuit en parallèle de la grande mention rouge PRISON CENTRALE DE MAKALA ne révèle pas ce  qu’est le calvaire qui vous attend derrière l’immense enclos dont l’entrée principale donne sur l’avenue de la Libération, ex-24 novembre. La modeste esplanade en terre jaune face au seuil est bluffante, on en croirait que l’inexistence ici de déchets qui inondent comme à l’accoutumée les milieux kinois à grande attraction est la norme de cette Maison carcérale.

Fin mai à l’approche du juin, le mois de la journée internationale pour le soutien aux victimes de la torture, célébrée le 26, créée par les Nations unies pour manifester une solidarité envers les personnes dont le mental, le corps ou l’esprit a été atteint par la torture, l’organisation informelle appelée Consortium de journalistes congolais d’investigation (CJCI) dont fait partie quelques uns de nos journalistes, s’est mise à réfléchir sur comment s’immerger dans la plus grande prison de la capitale, célèbre centre pénitentiaire aux conditions carcérales amères et obtenir les données les plus précises.

En fin de matinée de jeudi 10 juin, l’occasion se présente. La visite guidée a lieu, et les sombres histoires rapportées pêle-mêle par differentes organisations et ex-détenus dont certains ont temoigné avoir eu « des idées de suicide », n’ont pas été démenties par le spectacle qu’offrait cette Prison au Sud de Kinshasa. De l’entrée où un petit billet d’accès est remis aux visiteurs – avec pour mise en garde de ne point le perdre – passant par « la grande porte » de l’intérieur qui s’entremêle avec le bâtiment administratif où un autre, est de nouveau distribué, rarement un sourire se détache de visages. Tous semble en introspection.

Les détenus, incarcérés, visiteurs ordinaires et autres condamnés, portent un regard qui dénote de la pitié à des arrivants peu communs que nous sommes. Vite, nous prenons un corridor auquel les peintures decollent qui nous conduit vers un « terrain de foot » où plusieurs pensionnaires étaient à l’air libre, regards fuyants pour certains, sombre aisance pour d’autres. Les courageux, réunis en petits groupes et visiblement se parlant soit des incommodités quotidiennes, soit des méandres de la geôle, soit des exploits passés dans la vie d’homme libre… quasiment tous vêtus en haillons. Pas de sourire mais des rires forcés. Ici, le jour a plus de 24 heures.

Arrivés à l’un des « pavillons de la mort », le 3/A, l’odeur de la moisissure vous rappelle que c’est vraiment la tombe qui y rôde; un irrespirable couloir fait office d’antichambre pour les cellules bondées, rejetant à travers les treillis des boules de vapeur de la sueur séchée sous les aisselles velues d’une multitude d’individus qui n’ont pratiquement pas accès à l’eau. Les murs ont perdu la peinture remplacée par des plaques de poussières noircies qui s’écaillent par endroit. La chaleur qui renvoit à l’inaéré, quelques ampoules faiblement lumineuses… Certains de détenus jouent la garde, chemise de prisonnier bleue et jaune, munis de radios.

« C’est avant l’indépendance que cette Prison a été inaugurée et elle n’a jamais connu de réfection. Seulement en 1997 sous Laurent-Désiré Kabila que les pavillons 8 et 11 ont été réhabilités pour accueillir les prisonniers politiques. D’ailleurs au premier niveau (y en a qu’un seul, ndlr), nous évitons d’y envoyer beaucoup de prisonniers au risque de voir le bâtiment s’affaisser », nous confie un guide de circonstance.

Qui conclut, très peu bavard, « la surpopulation constatée est due au fait qu’il existe ici entre autres de nombreux cas des oubliés. Des gens qui ont passé plus d’une décennie sans être jugés, alors qu’ils n’ont commis parfois qu’un vol simple. »

En effet, un détenu nous voyant allonger sa cellule, s’est faufilé pour demander de l’aide. Interpellé puis envoyé à Makala en 2009 pour « vol d’un téléphone », explique-t-il, il venait de totaliser 12 ans sans être jugé. Plus de dix ans donc dans une cellule dont le toit menace de s’effondrer, pas des douches transformées d’ailleurs en chambrettes, incapable de s’allonger faute d’espace souvent absorbé par des commerces de fortune en pleine cellule… De la nuit noire.

A notre arrivée, le pavillon 9 était en pleine réfection. « Les conditions sont plus ou moins acceptables aux pavillons 10 pour filles mineures et 11/B pour garçons mineurs, parce qu’ils ont été retouchés il n’y a pas longtemps », rebondit un autre guide. Pour arriver au 11/B, il nous a fallu contourner à gauche, à partir de la sortie du pavillon 10 en prenant un autre corridor dont le bout donne sur un vaste terrain dédié aux travaux champêtres, ces bandes de champ faisant côte aux caniveaux dans lesquels ruissellent eaux usées et excréments humains, imaginez la nauséabonde !

C’était enfin pour ressortir, un saut vite fait à l’infirmerie pour femmes et au centre hospitalier pour hommes où l’insuffisant personnel soignant « ne reçoit ni salaire et aucune prime, pas des médicaments pour les éventuels malades », renseigne un peu gêné le médecin directeur, aux côtés du directeur de la Prison Flory Kadimba.

Sortis de là avec une boule d’amertume coincée sous la gorge, il n’est point ici question d’évoquer la torture, c’est plutôt une salle d’attente pour la tombe, ou carrément un enfer, au-delà de la torture.

Les oubliés

Comment est-ce qu’un pensionnaire en attente d’être jugé peut-il être oublié ? Et ce, 5 ou 10 ans durant ? Les deux questions nous reviennent en boucle. Certes, les raisons peuvent varier mais il reste incontournable d’approcher les principaux acteurs du surpeuplement de ce centre de détention : les magistrats.

48 heures plus tard, samedi 12 juin, un de leurs, exerçant au Parquet grande instance Kinshasa/Matete, accepte sans beaucoup d’efforts de nous recevoir. Nous le retrouvons sous la canicule du début d’après-midi dans une terrasse, non loin du Parquet. Trois chaises et table en plastique, parasol au dessus de nos têtes en sueur. Veste grisâtre, chemise mauve et d’apparence maigrichonne, notre hôte se lance très vite à des justificatifs, en réponse à nos deux questions. Sous anonymat.

« Avec le travail que nous faisons, du stress en permanence sans motivation, un salaire minable, à 60 ans nous sommes généralement exposés à de perte de mémoire. Avec tout ça, même si vous avez raison et que l’autre a tort mais il me présente de l’argent, qu’est-ce que je fais ? Je prends cet argent. Je l’ai fait à trois reprises. La conscience m’a beaucoup dérangé mais que voulez-vous que je fasse ?

Chaque mercredi et vendredi on envoie les gens en prison, le Parquet n’étant pas un centre de détention. Avec ce rythme de transfert, oui, cela ne peut qu’entraîner la surpopulation carcérale et l’oubli de certains dossiers, surtout ceux qui ne vont rapporter aucun avantage pécuniaire. Dans de tels cas, la solution est la motivation des magistrats. »

Il poursuit avec beaucoup de clarté et sans circonlocution : « nous sommes sous payés. Chez nous si vous ne faites pas la fraude, comment allez-vous vivre ? Moi j’ai dix enfants. Dites-vous. Et là, qui aura la peine d’aller à Makala pour suivre tous ces dossiers ? C’est notre rôle de le faire mais nous  ne sommes pas motivés, nous souffrons. Allez même tout près ici à Brazzaville, nos collègues sont bien payés. Mais nous, qui ira à Makala avec ces 400 dollars le mois ? Ça restera comme ça jusqu’à ce que les choses changent. »

Mise à disposition de Léopoldville en 1958 sous l’époque coloniale, la Prison centrale de Makala n’est conçue que pour accueillir 1500 pensionnaires. Elle héberge aujourd’hui 8444. Une surpopulation carcérale qui entraîne avec elle détérioration des conditions d’hygiène,  promiscuité et autres formes des pratiques sordides… qui font d’elle, une zone de non droits.

Tony-Antoine Dibendila

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